Les ambitions maritimes d’Addis-Abeba attisent les tensions dans la Corne de l’Afrique

Plus de deux ans se sont écoulés depuis que le Premier ministre Abiy Ahmed a affirmé que l’Éthiopie possède un « droit naturel » à accéder à la mer Rouge. Une déclaration qui continue d’alimenter les débats et qui, selon Middle East Monitor, remet en lumière ce que plusieurs spécialistes considèrent comme une volonté de puissance régionale de la part d’Addis-Abeba.
Cette question a notamment refait surface après la publication, en novembre 2023, d’un article du chercheur Tafi Mekha mettant en garde contre l’émergence d’aspirations impérialistes au sein de l’élite éthiopienne. Le parti au pouvoir, le Parti de la Prospérité, rejette ces accusations, mais la polémique a pris une nouvelle ampleur lorsque l’ambassadeur éthiopien en Somalie, Suleiman Dedefo, a accusé l’Égypte de nourrir des objectifs « hégémoniques masqués », dans une tribune parue dans Africa Report.
Selon Middle East Monitor, ces propos répondaient aux déclarations du ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdel Atty, qui dénonçait des régimes exportant leur instabilité intérieure en inventant des menaces extérieures. De nombreux observateurs estiment que ces remarques visaient clairement l’Éthiopie. D’où la question : qui cherche réellement à dominer la région ?
Un accès à la mer transformé en exigence de souveraineté
D’après l’analyse du média britannique, les discours des dirigeants éthiopiens ne concernent plus seulement l’utilisation de ports étrangers mais tendent à confondre « libre accès » et « souveraineté maritime ». Ce glissement suggère une volonté non pas de coopérer, mais de contrôler un espace côtier.
Le média rapporte qu’Addis-Abeba aurait même refusé la proposition de Djibouti d’administrer conjointement le port de Tadjourah. Le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, affirme qu’Abiy Ahmed demanderait un couloir extraterritorial jusqu’au port, ainsi que la création d’une base militaire navale.
Dans ce contexte, l’appel de l’Éthiopie à un « dialogue » avec les pays côtiers apparaît comme une tentative de renégocier les souverainetés en mer Rouge, alors qu’aucun État voisin n’a jamais limité l’accès des marchandises éthiopiennes à ses ports. Le discours d’Abiy Ahmed devant le Parlement, en octobre 2025, évoquant la possibilité de « récupérer » un accès maritime perdu, renforce cette perception expansionniste. L’argument historique avancé par Addis-Abeba occulte également qu’entre 1961 et 1991, l’Éthiopie occupait l’Érythrée par la force.

Une lutte d’influence avec le Kenya
Une étude publiée en juillet 2024 par l’Institut éthiopien des affaires étrangères évoque directement une compétition stratégique avec le Kenya pour le leadership régional. Le document propose quatre scénarios possibles : domination kenyane, suprématie éthiopienne, choc d’influences ou partage du pouvoir sans acteur dominant.
Bien que la population et l’économie éthiopiennes puissent lui offrir un rôle majeur, ses conflits internes récurrents sapent son influence et fragilisent la stabilité de l’ensemble de la région.
La future marine éthiopienne, instrument de pression
Selon Middle East Monitor, de récentes tribunes d’intellectuels et de responsables proches du gouvernement mettent au cœur du projet l’idée de doter l’Éthiopie d’une marine militaire. Des auteurs comme Nebiyu Teddla, Surafel Tesfaye ou Rebecca Mulugeta estiment qu’une flotte navale permettrait à Addis-Abeba d’imposer ses intérêts et de transformer l’équilibre stratégique dans la Corne de l’Afrique.
L’une de ces analyses évoque même un scénario comparable à l’annexion de la Crimée par la Russie, suggérant qu’Addis-Abeba pourrait viser un contrôle direct sur le port érythréen d’Assab. L’idée que la marine serve à renégocier des frontières maritimes inquiète fortement les États côtiers, peu enclins à accueillir des bases éthiopiennes, y voyant une menace potentielle d’annexion.
Des revendications qui pourraient s’étendre
Des déclarations d’analystes liés au pouvoir, dont Samiya Mohamed de Horn Review, laissent entendre que les ambitions éthiopiennes dépassent le seul port d’Assab. Elles incluraient aussi l’archipel érythréen des Dahlak, présenté comme essentiel pour sécuriser durablement un accès à la mer Rouge. Selon ces experts, « Assab ouvre la porte de la mer, mais Dahlak en détient la clé ».
Ces prises de position soulèvent une inquiétude majeure : l’Éthiopie se limitera-t-elle à l’Érythrée ou cherchera-t-elle, à terme, à imposer ses vues à Djibouti ou à la Somalie ?
Une menace grandissante pour la paix régionale
Pour Middle East Monitor, l’idéologie maritime défendue par le gouvernement éthiopien s’apparente à un projet de domination et représente un danger réel pour la sécurité de la Corne de l’Afrique. Accuser l’Égypte, comme l’a fait l’ambassadeur Suleiman Dedefo, ne servirait qu’à détourner l’attention, sans remettre en cause le fait que c’est bien l’expansionnisme éthiopien qui risque d’entraîner la région dans un conflit destructeur, nourri par l’absence de réaction internationale ferme.



